Le club premium combine piscine, entraînement fonctionnel et même MMA dans la petite ville de Carquefou. Un pari osé porté par d’anciens footballeurs du FC Nantes réunis autour de Sophie Mancini. Sans passé dans le fitness, elle y applique les bonnes pratiques du secteur avec un démarrage réussi.
On ne compte plus les arguments qui auraient dissuadé plus d’un entrepreneur de se lancer dans l’aventure Artligne. Ce centre de fitness fête son premier anniversaire et prouve que rien n’est impossible. C’est un club premium en province (on dit que hors de Paris et des grandes villes, point de salut pour ce positionnement). Il est installé à Carquefou (la ville n’a que 20 000 habitants et ne mise même pas sur les chalands de Nantes en raison des embouteillages). Le centre est indépendant (la tendance est aux franchises). Artligne est piloté par une femme (les dirigeants du fitness sont surtout des hommes). Ce n’est pas tout. La dirigeante, Sophie Mancini, n’avait aucune expérience dans le fitness. Et l’aventure a démarré début 2021, en pleine épidémie de Covid… Et avec tout ça, la jeune entreprise a obtenu un prêt bancaire, a réalisé ses travaux, a ouvert sans trop de retard, a rempli son carnet de clients et suit ses objectifs. D’aucuns diront que le cas de Sophie Mancini et d’Artligne inspirera les entrepreneurs du sport.
Il y avait quand même de solides atouts pour lancer cette entreprise, à commencer par une belle équipe d’amis fondateurs de haut calibre. Parmi les cinq associés, trois sont des footballeurs professionnels rencontrés au FC Nantes : Vincent Bessat, Rémy Riou (actuellement gardien de l’Olympique lyonnais) et Lucas Deaux (milieu défensif à l’AS Nancy Lorraine). En plus de Sophie Mancini, l’équipe s’est adjoint les services de William Goin, éducateur sportif qui pilote aujourd’hui l’offre de coaching d’Artligne. À vrai dire, ces deux-là forment le duo opérationnel quand les trois footballeurs jouent plutôt un rôle stratégique –ils valident également tous les recrutements de nouveaux coachs. Un autre atout de taille pour Artligne était de s’installer dans une ZAC en plein essor dans des murs qu’il n’y avait pas besoin de chercher (on sait comme c’est un casse-tête même en région que de trouver le bon local). Si on imagine que les stars du foot ont facilité la communication du club, c’est faire fausse route : ils apportent leur expertise et des fonds, mais Artligne ne capitalise pas sur leur notoriété et leur légitimité de sportif pro pour se faire connaître… Ce club ne fait-il donc rien comme les autres ?
Premium et MMA
« Nous sortions de la Covid où nous avions été malheureux socialement et humainement quand un ami de vingt ans de mon entourage m’a proposé d’exploiter son local. C’est là que je me suis retrouvée toute seule au milieu d’un grand hangar désaffecté, bref, je me retrouvais un peu au milieu de nulle part ! » sourit Sophie Mancini, qui fut prestataire de services pour le FC Nantes dans une autre vie. Le bailleur cherchait des exploitants pour ouvrir un club de fitness, mais à condition qu’ils soient indépendants et aient un état d’esprit différent. Comprendre : avoir une approche du fitness humaine. Plusieurs franchisés tentent leur chance, mais essuient un refus. « Pour moi, il est évident que cette volonté de miser sur l’humain est liée à la période de Covid », analyse la manager. Elle reconnaît débuter dans le fitness, mais avec ses associés, tous partagent « un sens de l’effort important, un grand professionnalisme et une exigence pour la qualité ».
Avant même de concevoir le business plan, l’équipe réalise un benchmark auprès de ses proches pour lister ce qu’ils veulent retrouver dans leur offre. Et ce qu’ils veulent éviter. « C’est ça d’être indépendant, martèle la dirigeante, et nous avons tout de suite mesuré à quel point c’était important pour nous. On conçoit sa maison, on monte ses murs ! » Avec 2 500 mètres carrés, l’équipe avait un bel espace de jeu à exploiter. En plus des espaces incontournables de musculation, cardio-training, cours collectifs (BodyPump, BodyAttack, BodyCombat, Sh’Bam, Grit Force, Pilates…), cycling, zen (Hatha Yoga, Vinyasa Yoga, Athletic Yoga) et entraînement fonctionnel (HBX Fusion, HBX Boxing, TRX), Artligne y ajoute une piscine (de 13 × 6 mètres, avec AquaBodyBike, AquaDynamic, AquaCombat, AquaWork, Osmoz) et une zone combat avec un focus sur… le MMA (Mixed Martial Art) ! « Lorsqu’on a évoqué ce sport, on nous a tout de suite mis en garde sur les risques réputationnels, mais nous, nous souhaitions l’intégrer à travers ses valeurs » balaie Sophie Mancini. Les cours sont limités en small groups de 14 personnes – un attribut du premium. L’ambiance n’est donc pas à la cage de combat sauvage, mais au premium, avec une simple évocation des codes « street ». Sur les murs, on retrouve des tags du genre « Energy », « Stronger together » et aussi « solidarité », « authentique » et « bienveillance »… Reste à voir comment ces inscriptions murales un tantinet cliché, créées par l’agence EB, motiveront les adhérents. Le principe était de « véhiculer les valeurs du club », souligne la dirigeante.
Pour encadrer toutes ces activités, William Goin peut compter sur un staff de trois coachs de fitness, un maître-nageur sauveteur, deux professeurs de yoga, un référent multicombats spécialisé en MMA et un personal trainer. « Nous sommes tous discrets en tant que personnes, mais rapidement, notre projet s’est fait connaître, et pour cela, nous avons pu compter sur le réseau de William. C’est ce qui nous a permis de trouver nos coachs », indique Sophie Mancini. Pour autant, le processus de recrutement a été long, car chacun devait s’assurer que les personnalités collent aux valeurs du club. « Je pense qu’il vaut mieux recruter quelqu’un qui peut encore progresser au niveau technique, mais qui a la bonne mentalité plutôt que l’inverse, car nous passons beaucoup de temps ensemble dans la structure et l’aspect humain est comme un mortier qui soude les briques de l’entreprise ensemble, c’est essentiel pour avoir des bases solides et se développer », poursuit la manager. Elle confie avoir été « touchée » lors de certains entretiens, par des parcours et des individualités. « J’ai vu des jeunes coachs de 20 ans qui avaient évolué dans de grosses structures et qui avaient connu un management très distant, depuis un bureau à Paris, voire absent », se désole-t-elle. « Chez nous, c’est tout l’inverse, compare-t-elle immédiatement. Nous sommes dans la proximité, l’écoute attentive, on ne prend aucune décision sans consulter les coachs, car c’est ce qui permet de les considérer, de développer leur esprit de responsabilité et leur sentiment d’appartenance, et puis ce sont eux qui sont en première ligne donc ça nous semble très important », assure Sophie Mancini. « Les jeunes ont une expression, ils disent “le sang” pour décrire quelqu’un de très important, c’est pareil chez nous ! »
Travaux et inflation
Humain encore : Artligne ne cherche pas à imposer d’abonnement avec engagement, préférant la liberté. « Nous sommes tous engagés aujourd’hui, avec notre abonnement mobile bien sûr, mais de plus en plus aussi avec d’autres services comme Netflix, on parle de fatigue des abonnements même », décrit la patronne. Dans ce contexte, elle préfère fiche la paix aux clients quitte à assumer un yo-yo au niveau de sa trésorerie.
Il se dégage un sentiment de maturité envers le fitness alors qu’un an plus tôt, il n’y avait rien, l’associée en était à déposer les statuts et n’avait encore jamais exercé dans ce secteur. Après six mois à se pencher sur les montages financiers, l’équipe de cinq associés engage des fonds (200 000 euros) auxquels s’ajouteront 800 000 euros de prêt bancaire. Nul besoin de préciser que cette étape fût compliquée, surtout en période de Covid, où le fitness est surveillé comme du lait sur le feu par les créanciers. Ce qui débloque la situation, c’est le potentiel du projet de ZAC. Une fois le prêt obtenu, en janvier 2022, il n’y avait plus qu’à engager les travaux… Mais un mois après, éclate le conflit ukrainien, générant pénuries et inflation du coût des matériaux ! Pour ne rien arranger, l’équipe avait un peu sous-estimé le cahier des charges réglementaire et un bureau de contrôle rappelle au club qu’il doit être conforme à la norme PMR (accessibilité aux personnes à mobilité réduite). Tout cela fait gonfler la facture de 50 % pour porter le budget à 1,5 million d’euros. Par le choix, l’équipe met la main à la poche et assume le surcoût, aidée par le bailleur. Le club, qui devait ouvrir en septembre 2022 – période de rentrée vitale pour le fitness –, reporte ça à janvier, en plein creux de l’hiver. L’équipe a-t-elle été découragée ? Sophie Mancini est claire : « Nous ne sommes pas des philanthropes, nous croyons aux fondamentaux du projet, et même si nous avons eu des moments de doute à cause de sept mois d’inertie, d’une rentrée ratée, d’un retard de deux mois sur le bassin aquatique et de péripéties réglementaires, nous devions persévérer, car c’est le propre de l’entrepreneuriat que d’avoir des problèmes à résoudre. Aujourd’hui, nous avons des retours exceptionnels. »
Entrée-plat-dessert
Avec 460 adhérents engrangés en moins d’un an – faut-il le rappeler, à Carquefou, et sans bénéficier de l’attractivité de Nantes, et sur un positionnement premium -, Artligne a connu un beau lancement, même s’il n’est pas encore au point mort. Initialement, l’équipe a prévu d’atteindre 1 200 clients pour équilibrer son bilan. Mais elle a eu une bonne surprise au passage : un panier moyen de 66 euros mensuels par adhérent, contre 52 euros anticipés. De quoi abaisser le point mort entre 1 000 et 1 100 clients. Le prix d’accès est de 39 euros par mois pour une seule activité, il passe à 52 pour une seconde (par exemple muscu et fitness) et 78 pour trois. Cela peut être plus selon le type de sport. Comptez ainsi 65 euros pour le combo fitness-piscine. « C’est comme au restaurant, on peut choisir entrée-plat, plat-dessert ou les trois », compare assez justement Sophie Mancini. Artligne propose aussi une formule à la carte à partir de 20 euros la séance. Mais avec un tel panel d’activités, c’est la formule access qui l’emporte pour l’instant, à 110 euros par mois, avec un accès total aux différents espaces. Pour se lancer, Artligne a abaissé ce prix à 85 euros par mois, ce qui explique le niveau de panier moyen supérieur. Cette opération sera renouvelée en septembre, histoire d’accélérer commercialement. Sans surprise, 45 % des adhérents optent pour le muscu/cardio et 22 % plébiscitent le fitness, qui offre des cours signature créés par des coachs (un « must have » des clubs premium désormais) en plus de l’offre LesMills.
Pour se démarquer, Artligne ouvrira en septembre ses espaces aux plus jeunes avec des formules Kids Fitness, Aqua et Combat, destinées aux 5-9 ans et 10-13 ans. « Nos coachs sont habilités à les encadrer et ces cours seront proposés à 8 euros la séance, sur des blocs de 45 minutes, afin de leur faire découvrir le fitness et qu’ils puissent faire comme leurs parents », souligne la manager. Sans le dire, cette offre est aussi tournée vers les parents, qui s’abstiennent parfois de s’entraîner pour garder leur progéniture. Alors que les clubs manquent cruellement de garderie, voici une solution. D’autant que la zone où est implantée Artligne va vivement se développer, avec 900 logements devant bientôt sortir de terre alentour. Trois autres clubs de fitness disputent des parts de marché à Artligne, mais aucun n’est positionné premium. « Si vous restez dans votre zone de confort, vous ne faites rien », balaie Sophie Mancini. Focalisée sur la pérennisation de son club avant d’en envisager d’autres, elle est confiante en l’avenir, car après tout, « Carquefou est la ville la plus sportive de France ».