La notion de « leadership » est un sujet très régulièrement traité dans les revues spécialisées en management, mais en pratique, c’est quoi, le leadership ? Peut-être vous êtes-vous déjà amusé, comme moi, à rechercher une définition claire de ce qu’est le leadership. Et si c’est le cas, il y a de fortes chances que vous soyez resté sur votre faim.
Une chose est certaine, le leadership n’est en rien l’apanage des personnes qui dirigent, managent, ou qui ont du pouvoir. En effet, il existe de nombreuses personnes avec un fort leadership, qui ne dirigent personne, tout comme des personnes qui dirigent beaucoup de monde alors qu’elles n’ont pas le moindre échantillon de leadership en elles. De plus, si je vous demandais de penser à une personnalité possédant un fort leadership, peut-être allez-vous spontanément imaginer une personne plutôt extravertie, ayant du pouvoir, du réseau, de bonnes qualités oratoires, etc. Et c’est vrai que ces éléments peuvent contribuer à accroître le leadership. Cependant, ils ne sont pas pour autant obligatoires. Il existe par exemple de nombreuses personnes introverties, voire timides, qui possèdent un fort leadership. Prenez Gandhi, Mère Teresa, Elon Musk, Serge Gainsbourg, Robert de Niro, Jean Dujardin, Albert Einstein, Marilyn Monroe, Eleanor Roosevelt, Tom Hanks ou encore Abraham Lincoln… Il est clair que leur introversion n’est ou ne fut en rien une entrave à leur incroyable leadership. Cet anglicisme a donc de quoi nous faire perdre notre latin.
Une des pistes de réflexion que je trouve intéressante est le lien que nous pourrions faire avec la notion de charisme. En effet, le mot « charisme » vient du grec ancien kháris qui signifie « ce qui brille », « ce qui réjouit » ou encore « la grâce », ce qui a donné kharisma qui signifie « une faveur qui est accordée sans rien demander en retour ». Le charisme, c’est donc une attitude qui inspire les autres à faire quelque chose sans qu’ils nous demandent une contrepartie.
En bref, cela veut donc dire une attitude qui génère instinctivement chez l’autre un état de confiance important. Cet axe est d’autant plus cohérent qu’en pratique, on ne s’autoproclame pas leader ou comme ayant du leadership, hormis si nous avons un léger problème d’ego à traiter. En effet, ce sont les autres qui reconnaissent en nous du leadership, ou non. Si je devais donc me hasarder à vous proposer une définition du leadership, j’aurais tendance à dire que cela ressemble à ça : attitude inspirant naturellement chez l’autre la confiance, la motivation et la mise en action, sans qu’il soit nécessaire de la lui demander. Cette attitude émane de l’aptitude à incarner une vision grâce à un pourquoi fort donnant du sens aux choses et une posture alignée entre pensées, paroles et actes, conférant un charisme naturellement attractif et persuasif. Le leadership peut être positif ou négatif en fonction du type d’influence générée et des circonstances.
Cette définition vous convient-elle ? Si ce n’est pas le cas, n’hésitez pas à me faire part de votre avis et je me ferai un plaisir de vous répondre. En attendant, je vous propose que nous avancions en nous appuyant sur celle-ci afin de détailler les ingrédients qui contribueront à générer un leadership positif. Selon les travaux de Amy J.C. Cuddy et Susan Fiske de l’université de Princeton et de Peter Glick de l’université Lawrence(1), deux ingrédients joueraient un rôle majeur dans le leadership : la chaleur humaine et la compétence perçue.
En effet, une posture inspirante viendrait du juste équilibre de la combinaison de ces deux facteurs. Regardons de plus près ce que cela donne :
1. Une chaleur humaine faible associée à une compétence faible conduit au mépris : « Notre manager ? Non seulement il ne sait pas faire grand-chose, mais en plus il est antipathique. »
2. Une chaleur humaine forte associée à une compétence faible engendre de la pitié́ : « Notre manager ? Oh, il est bien gentil, mais il ne faut pas lui en demander plus. »
3. Une chaleur humaine faible combinée à une compétence forte provoque de la jalousie : « Il m’énerve, Monsieur je-sais-tout ! »
4. Et, enfin, une chaleur humaine forte associée à une compétence forte génère de l’admiration.
Partant de ce constat, quels peuvent être les ingrédients qui génèrent une sensation de chaleur humaine et de compétence perçue ?
Quant à la chaleur humaine, je citerais le philosophe et psychologue John Dewey qui disait que « le désir le plus profond dans la nature humaine est le celui de se sentir important ».
En effet, vous avez déjà très probablement constaté une règle très simple et fondamentale de la communication qui est que nous intéresser sincèrement aux autres nous rend plus intéressants que de chercher à être intéressant. La chaleur humaine pourrait donc se résumer par une attitude où vos interlocuteurs ressentent que vous les écoutez pleinement et que vous vous intéressez sincèrement à leur avis, leurs propositions, leurs projets et leur bien-être.
Qu’en est-il maintenant de la compétence perçue ?
Alors, bien évidemment, cela peut consister en d’excellentes connaissances et compétences dans le domaine où nous exerçons. Cependant, posséder les compétences techniques de notre équipe est la qualité la moins importante pour un manager et elle n’est pas forcément obligatoire. Cela vous paraît-il contradictoire ? Pourtant, il n’en est rien, car je vous rappelle que la fonction première du manager n’est pas de savoir-faire. Sa véritable compétence perçue ne se situe donc pas à ce niveau. En effet, quel est le vrai rôle du manager ? Bingo ! Faire grandir son équipe. Donc, un manager apparaîtra compétent si ses collaborateurs ont la sensation de progresser à son contact.
Or, c’est un piège dans lequel beaucoup de managers très compétents techniquement peuvent tomber. Peut-être les connaissez-vous, ces managers qui rencontrent des difficultés à déléguer et qui décident de prendre à leur charge nombre de problèmes qui leur sont remontés par leurs équipes, soit pour les soulager et les aider, soit pour être certain que les choses soient faites comme eux le souhaitent. Mais en faisant cela, leur équipe pourra développer progressivement l’impression que leur chef ne leur fait pas confiance et surtout les équipiers auront la sensation de stagner, se trouvant cantonnés à des tâches secondaires par ce manager qui ne leur permet pas de se challenger et de s’élever. Et c’est ainsi que le manager qui fait tout apparaîtra progressivement comme incompétent.
En résumé, la compétence perçue du manager passera avant tout par :
1. Une posture rassurante, motivante et cohérente.
2. Une maîtrise de l’art de l’accompagnement et de la délégation.
En agissant ainsi, vos collaborateurs auront la sensation de progresser, donc amélioreront leur confiance en eux, donc leur estime d’eux-mêmes, et cela augmentera aussi l’estime qu’ils ont envers vous, et par voie de conséquence, la compétence perçue qu’ils ont de vous.
Un bel effet domino !
Clément Bergon, auteur, formateur et conférencier
1. Amy J. C. Cuddy, Susan T. Fiske et Peter Glick, « Warmth and competence as universal dimensions of social perception: The stereotype content model and the BIAS map», Advances in Experimental Social Psychology, no 40, 2008, p. 61-149.