CROSSFIT, La passion ne suffit pas…

CROSSFIT, La passion ne suffit pas…

CRÉATIF MARKETING, GOUROU DE L’ENTRAÎNEMENT, libre penseur, rebelle, anti-système, controversé comme tous les révolutionnaires, Greg Glassman a créé CrossFit en 2000. Aujourd’hui, 12 000 affiliés délivrent les entraînements CrossFit dans le monde.

Jean-Philippe PÉREZ, Consultant Formateur

crossfit

La première force de crossFit, c’est qu’il marque de multiples ruptures dans la façon de produire une expérience sportive dans un club de gym.

CrossFit est une rupture visible dans l’expérience sensorielle et matérielle du lieu “salle de sport” et des équipements qu’on y trouve. Les barres olympiques, les Slates, les Rigs, les anneaux, les KettleBells, les rameurs en salle de cours, le sol halthéro, le tableau blanc, les Plyoboxs en bois, le Timer, reconsidèrent la façon de créer un club de gym et l’expérience finale qui y est délivrée. L’authenticité affichée fait vieillir d’un seul coup à la fois, par sa modernité dépouillée, le fitness spectacle, les salles de culturistes et les alignements low cost anonymes de machines guidées analytiques.

CrossFit est surtout une rupture en termes de philosophie et de méthodologie d’entraînement. Avec son “Excellence is nothing. Capable is All.”, Greg Glassman a révolutionné l’idée que l’on peut se faire du Circuit Training et du plateau de musculation. CrossFit choisit un seul objectif de performance globale pour tous: être complet sur 10 aptitudes sportives. Le seul fait d’abandonner le principe de l’objectif personnel est déjà une révolution en préparation physique. Pour atteindre cet objectif, CrossFit préconise un seul et même entraînement fonctionnel, à haute intensité, quotidiennement varié, à base d’haltérophilie, de gymnastique et de cardio-training avec la diététique associée.

Les 10 qualités sportives fondamentales seront travaillées lors de sessions d’entraînement, censées être en petit groupe, dont le contenu change quotidiennement autour d’une même structure qui comprend un WARMUP (échauffement), 1 à 2 SKILLS (apprentissage technique), un challenge appelé WOD.

CrossFit est une rupture dans l’offre d’expérience fitness en proposant au client final un seul type d’entraînement en petit groupe, disponible tous les jours, à toutes les heures les plus fréquentées et sur réservation. Un seul objectif, un seul type d‘entraînement, un seul lieu, tous les créneaux. Ce refus du planning avec activités spécifiques libère la rencontre de l’offre et de la demande de training.

On écarquille les yeux quand on réalise que CrossFit bouleverse le métier par 3 ruptures :

  • Celle de l’entraînement musculaire analytique – au revoir les machines guidées !
  • Celle de la personnalisation de l’objectif – au revoir le culturisme !
  • Celle de la diversité des activités collectives proposées et celle de la musique connectée au mouvement – au revoir les cours collectifs !

Le propre des révolutions c’est qu’elles changent la façon de concevoir le domaine auquel elles sont rattachées. “CrossFit changed the rules of the modern fitness business”, écrit Thomas Plummer sur son blog du 21 avril 2014. CrossFit est donc, une révolution dans l’expérience fitness.

La seconde force de CrossFit, c’est d’avoir réussi à bâtir une communauté fervente de champions, d’instructeurs et de pratiquants qui défendent avec engouement la singularité de ce qui est à la fois une marque commerciale, une philosophie d’entraînement, et un sport en soi.

L’un des ciments de cette communauté, ce sont les valeurs alternatives du CrossFit. L’utopie commune à tous les athlètes de vouloir dépasser sa propre limite quel que soit son niveau. L’utopie généreuse que tout le monde est invité au CrossFit sur le même entraînement. L’utopie solidaire que les forts sont là pour soutenir les faibles au sein de cette communauté du dépassement et de l’effort. L’un des points communs de ces pratiquants, c’est la détestation “anti- système” des clubs de gym traditionnels (“anti-gym”) ou en tout cas de l’image que les athlètes CrossFit en ont.

Si CrossFit est un sport à part entière, qu’il se définit en rupture avec les clubs de gym et s’il capte une clientèle qui n’aurait jamais été cliente d’un club de fitness, il s’agit d’un nouvel espace stratégique sans concurrence avec notre métier. Ce que l’on appelle un “Océan Bleu”.

Si une Box CrossFit reste un lieu clos, privé, où l’on reçoit les gens, qui habitent à côté et qui paient pour faire du sport avec un coach, alors CrossFit est un concurrent. Clairement différencié certes, mais qui se pose tout de même en solution alternative à nos offres. Ou peut-être même, comme une continuité, de notre offre : une version ultime de l’expérience fitness.

Qu’il soit, ou bien une disruption de type “Océan Bleu” ou bien, pragmatiquement, un autre modèle de “club de sport”, CrossFit influence de l’intérieur toute la jeune génération de coaches sportifs grâce aux valeurs et aux méthodologies d’entraînement qui y sont défendues. L’adoption massive du Functional Training comme standard d’entraînement, le développement d’entraînements en petits groupes dans des espaces de Cross Training et enseignés selon des structures d’entraînement similaire à CrossFit, sont autant de marques d’influence de CrossFit dans le cœur des coaches.

L’une des faiblesses de crossFit tient à son image non sécuritaire, voire dangereuse.

CrossFit parle bien d’haltérophilie et de haute intensité. C’est-à-dire de ce qu’il y a de plus difficile en préparation physique en terme de motricité pour une personne non entraînée ou pas du tout sportive, c’est à dire 80% de nos clients potentiels. À ce niveau d’intensité et de complexité, les mouvements sont clairement dangereux s’ils sont mal exécutés. On s’interroge donc sur les conditions sécuritaires de délivrance de l’expérience CrossFit.

Si les coaches sont formés régulièrement à la pédagogie, en plus du LEVEL 1, et s’ils comprennent la différence entre les CrossFit GAMES et l’entraînement CrossFit de la Box avec des débutants, alors on peut imaginer que la sécurité va être au cœur des préoccupations de l’entraînement délivré au sein de la CrossFit Box.

Damien STYMANS dans le magazine Work Out écrit ceci : “Vous ne devez pas les (les athlètes) prendre comme exemple (…). Les athlètes des GAMES ne pratiquent pas la même discipline que vous. Le sport du CrossFit est différent de la méthode d’entraînement CrossFit. La technique doit prévaloir sur n’importe quel paramètre. Si vous voulez performer en tant que CrossFitter, l’objectif, ce sont les 10 qualités fitness : vous serez meilleur sportif et c’est probablement ça le plus important.”

Dans sa conception même, le “plus vite, plus fort, plus loin” peut vouloir faire passer chez certains pratiquants (et certains instructeurs) la performance avant la technique et la sécurité. C’est au coach de gérer l’expérience sportive en groupe. Sait-il le faire ?

Quelles ressources pédagogiques régulières ont les jeunes coaches CrossFit à leur disposition afin d’être certains d’être compris et de ne jamais faire de mal à quelqu’un qui vous fait confiance parce que vous êtes son coach ? Car il faut certainement plus qu’un LEVEL 1 pour superviser une grande pièce avec une quinzaine de personnes, sur un exercice aussi complexe que le POWER CLEAN.

Si les ateliers d’initiation sont suffisamment nombreux pour être à la disposition des nouveaux clients, aux heures les plus demandées, en petit nombre et plusieurs fois dans les premières semaines de fréquentation de chaque nouveau client, alors on peut commencer à imaginer que la sécurité est au rendez-vous.

C’est vrai que les ateliers d’initiation délivrés par CrossFit ont une très bonne réputation et un très bon niveau pédagogique, de précaution, et de coaching. Et surtout, ces sessions d’initiation existent vraiment, contrairement à la plupart des salles de sport aujourd’hui.

Si le format de délivrance du WOD reste un format Team Training de 10 à 12 personnes maximum, alors on pourra considérer que la proximité avec le coach peut dégager un coaching sécuritaire de grande qualité. Avec un coach plus proche, l’entraînement est plus facile, plus efficace et plus motivant. Et dans des conditions d’un faible nombre de participants, on peut être plus ambitieux sur l’encadrement.

Austin MALLEOLO, le dirigeant de CrossFit ONENATION, Needham, USA, et formateur réputé en LEVEL 1 est très clair dans une de ses formations qu’il a données à Paris : le CrossFit est possible uniquement en team training de 10-12 personnes maximum. Si le nombre de participants augmente, alors il faut un coach supplémentaire sur le même WOD. Formation régulière des coaches, important programme d’initiation qui a forcément un coût supplémentaire, maintien de la qualité des WOD à 12 participants maximum : voici les garanties proposées en termes de sécurité par CrossFit.

C’est la seconde faiblesse de crossFit : les interrogations sur la sécurité et la qualité de l’expérience sont liées aux interrogations sur la viabilité économique des Box crossFit et sur le prix accepté localement par le client.

Il faut 2 à 3 salaires pour produire un tel niveau d’expérience. Les charges fixes, les frais de salaires, de licence annuelle, de renouvellement du matériel, de loyer et remboursement d’emprunt doivent être couverts.

Tout va dépendre si les revenus de la Box, et donc le nombre de clients qu’elle sert, peuvent payer le prix d’un tel niveau de qualité qui fera augmenter le coût d’exploitation.

En gros, est-ce que délivrer un tel niveau de qualité à 200 clients est viable économiquement et sur le long terme ? Calculons ! 200 clients venant 3 fois par semaine nécessitent 600 entrées. Les WOD sont maintenus à 12 participants. On ajoute 5 WOD d’initiation. Il faut 55 WOD sur 6 jours. On parle de 10 WOD par jour.

Sauf qu’évidemment, la majorité des clients souhaitent s’entraîner sur 5 horaires clés : 12h30, 17h30, 18h30, 19h30 et 20h30. Se pose donc le souci de l’agencement de la Box et de l’espace disponible pour réaliser les ateliers d’initiation en parallèle des WOD. Se pose surtout la question du prix payé par l’adhérent et donc du nombre de salaires possibles dans la délivrance de ce service.

Si le tarif de la Box est de 100 € TTC pour l’inscription mensuelle, les 200 clients délivrent 16000€ euros de CA HT – les frais sont payés.

Si le prix mensuel descend à 70 € TTC par mois le CA HT est de 11 500 € – les frais ne sont pas équilibrés.

Dans la réalité, les WOD sont souvent surchargés car les Box sont insuffisamment staffées. Les emplacements sont de mauvaise qualité parce que les Box n’ont pas eu les moyens économiques de bien choisir la localisation. On assiste à une grande déperdition commerciale de la part des Box, car l’unique gérant est en WOD au moment où les futurs membres viennent se renseigner. L’organisation commerciale de base n’est pas dans la culture alternative de CrossFit. En tout cas pas pour le moment.

Le CrossFit ne peut être que cher. Et doit être mieux vendu. Car la passion ne suffit pas.

Beaucoup de Box ouvrent. Beaucoup de Box ferment. Et la prétendue facilité de coût d’installation oublie trop l’importance et le coût de l’emplacement commercial au sein d’une population en densité suffisante, et avec des revenus suffisamment solides pour accepter un prix au-dessus de 70 € par mois.

Il existe 4 risques dans le développement d’une Box crossFit.

D’abord, un risque d’atomisation de l’offre pèse sur le développement du CrossFit. Concrètement, la facilité d’installation amène rapidement l’ouverture de Box concurrentes avant même que la Box initiale soit rentable sur le long terme. Le premier risque est d’assister à l’émergence d’une multitude de Box qui n’arrivent pas à se différencier les unes des autres, ni à se professionnaliser ni à défendre leur prix. Le salaire du (ou des) dirigeant(s) restera faible pour une quantité d’heures de travail au-delà de l’imaginable. L’esprit communautaire, la modestie économique et le versement de la licence annuelle seront préservés au prix de sacrifices très importants de la part du ou des propriétaire(s) de la CrossFit Box, de leurs collaborateurs et de leurs conjoints.

Le second risque est ce que l’on appelle le phénomène “Garage Gym”. Devant le prix élevé de sa Box et la limitation du nombre de WOD par client possible, les pratiquants les plus chevronnés, qui souhaitent s’entraîner 6 fois par semaine, installent dans leur garage du matériel CrossFit, leur propre Box, afin de pouvoir s’entraîner sur des WOD vidéo de type YouTube ou Freelitics. Grâce au numérique, l’intermédiaire historique entre le consommateur et la prestation est éliminé. C’est la désintermédiation ou “l’Ubérisation” de l’entraînement (en référence à l’appli Uber qui élimine la compagnie de taxi entre le conducteur et le client). Dans ce cas, le client élimine le professionnel de sa pratique sportive. End of the story.

Le troisième risque, c’est la mise à disposition des clients des clubs low cost, de matériel CrossFit en libre accès, où les applis de type Freelitics et les vidéos Youtube permettront, là aussi, aux pratiquants les plus autonomes de s’entraîner pour 29 € par mois à volonté.

Le quatrième risque, c’est l’appropriation du CrossFit par les acteurs fitness traditionnels qui incorporent le CrossFit dans une offre plus large en termes de progressivité et de diversité. Le CrossFit apparaissant comme l’activité ultime de l’expérience fitness. L’ensemble des activités fitness du club devenant alors une préparation physique à l’entraînement CrossFit. Les acteurs traditionnels bénéficient de grandes facilités d’installation : ils ont déjà l’argent, l’emplacement, les clients, le savoir-faire commercial, l’image, les coaches et le management.

Le pionnier, et l’exemple pour nous tous, ACCROSPORT au Havre et à Rouen, CLUB DE GYM à Lille, SPORTING FORM à Toulouse, et, bien sûr, le leader Français, CMG SPORTS CLUB à Paris ont déjà lancé leur Box avec succès. Le mot CrossFit associé à leur marque commerciale, les propulse en termes de notoriété et d’image. Ils bénéficient de leur structure, de leur expérience dans la gestion des clubs, du fait qu’ils ont déjà des clients prêts à s’enthousiasmer pour cette nouvelle expérience fitness.

Le vrai crossFit est une activité très spécifique et qui doit être respectée en tant que telle.

Le principal risque pour les Box CrossFit, c’est de s’enfermer dans le sectarisme et l’ignorance.

C’est de passer à côté du fait que matériellement, factuellement, économiquement, une Box CrossFit est un club de gym qui va rencontrer les mêmes problématiques que les clubs de fitness : choix du modèle, localisation, densité de population de client cible, fixation du prix, rentabilité, concurrence, communication, organisation, fabrication de l’expérience finale, différenciation, formations des coaches, recrutement, salaires et management.

Le principal risque pour CrossFit est d’oublier que la Box CrossFit est une entreprise. Et qu’il faut l’aider simplement à se professionnaliser.