Julien Castagnet : l’aventure du Sport-Santé en pleine campagne

Imaginez-vous lancer un club de remise en forme dans une commune de 300 habitants loin de tout ? C’est le pari qu’a fait Julien Castagnet avec Salvéo. Un havre de paix où il a imposé ses codes, axés sur la remise en forme, la prévention santé et le plein air. Une belle vision du sport.

C’EST UN LIEU UNIQUE. UN CLUB QUI DÉJOUE TOUS LES CODES DU FITNESS. Situé sur la commune de Loubens, en Sud Gironde, Salvéo Forme et Détente est à 1 heure de voiture au sud-est de Bordeaux, et à 32 minutes à l’ouest de Marmande. Niché dans la nature, ce club de remise en forme a sa propre zone de chalandise, minuscule à vrai dire, des villages alentour. Le club touche moins de 10 000 habitants, à des années-lumière des standards des clubs low cost et de leurs zones commerciales. Malgré tout, Salvéo a réussi à attirer 700 clients grâce à son approche santé, catalysée par Julien Castagnet et son aura. Comme il le dit, il est « l’enfant du pays ».

Le club de remise en forme est installé dans une longère entièrement retapée, pierres de taille apparentes et piscine chauffée. De part et d’autre, de la pelouse et des arbres. À l’horizon, des champs. Aucune trace de ronds-points, de grands parkings, de bâtiments en tôle ondulée propres aux périphéries urbaines. « Tous ceux qui viennent là, même des clients étrangers, n’ont jamais vu ça ailleurs », se félicite le créateur de ce lieu. « J’ai toujours voulu créer une structure atypique en partant des attentes des personnes qui ne fréquentent pas les clubs de sport », confie celui qui s’est spécialisé en sport santé. « Une grosse partie de ma clientèle aujourd’hui me dit qu’elle n’a jamais voulu mettre les pieds dans une salle de fitness, car elle ne se reconnaissait pas dans le lieu, son accueil, les machines, l’ambiance avec ses miroirs, ses vestiaires et sa musique », rapporte Julien Castagnet, lui-même surpris par le manque d’originalité de beaucoup de clubs. Pour se démarquer, il a toujours mis un point d’honneur à répondre aux attentes de tous, indépendamment de l’âge, de la condition physique, du statut social en offrant une possibilité de pratique et d’entraînement en extérieur. « Même avant Salvéo, j’amenais mes clients courir, jouer au city stade, on faisait de la marche, du vélo, et des séances de Pilates sur le gazon », illustre-t-il. Pour lui, « une des raisons pour lesquels le taux de pénétration du fitness est si faible en France, c’est parce que les structures obéissent aux mêmes standards, or, pour moi, fitness et remise en forme sont deux choses différentes ».

ENTRE PARC ET FORÊT

Après vingt ans dans le sport dont quinze à son compte comme coach personnel et trois à peaufiner son idée de centre sportif, Julien Castagnet décide de passer à l’acte en 2017. Mais comme il veut à tout prix répondre aux attentes de ses futurs clients plutôt qu’aux siennes, il organise une enquête publique six mois avant l’ouverture. Elle est relayée par la Communauté de Communes et recueille un certain succès. Il organise aussi des réunions publiques dans les salles des fêtes. L’entrepreneur multiplie les invitations et « crée le débat autour de Salvéo ». Ce qui en ressort majoritairement : le besoin d’encadrement dans un objectif de bien-être et de santé, et de pratique extérieure saisonnière. Ouf !

Le concept Salvéo ? Bien sûr, c’est d’abord un lieu d’activité physique. À l’intérieur, pierres de taille, avec son plateau de musculation (et même un espace haltérophilie). À l’étage, poutres apparentes pour la salle de cours collectifs, l’espace cardio-training, et la salle de séminaire polyvalente qui se transforme en salle de pratique de FlyHeart, circuits trainings, TRX, et boxing. Et même là où beaucoup de clubs urbains s’arrêtent, Salvéo s’étend en extérieur avec un parc aménagé avec une plateforme d’entraînement fonctionnel pour la préparation physique, un parcours aménagé et un espace zen en forêt, un city stade, des terrains de jeu (volleyball) et un chalet abrité ouvert sur l’extérieur. À Salvéo, les cours de biking se pratiquent en plein air grâce à un chapiteau entièrement ouvrant au milieu du parc. Le lieu compte aussi, toujours en pierres apparentes, une cuisine équipée pour les ateliers nutrition, un club house pour les moments de partage, une salle de consultation (pour les professionnels indépendants) et une très belle salle de massages bien-être. Un espace balnéo compte un bain hydromassant, un sauna, un hammam, et une belle terrasse/solarium en bois qui surplombe la piscine chauffée. Un vrai lieu de villégiature ? On ne croit pas si bien dire, car Salvéo inclut aussi des hébergements de qualité avec une dizaine de couchages. Entre 80 et 100 euros la nuit, ils rencontrent un certain succès sur les plateformes de réservations. Pour 800 euros, le centre propose un séjour complet d’une semaine avec repas et prise en charge sportive. Mais de l’aveu du fondateur, cette offre peine encore à décoller pour le moment. Des offres week-end bien-être ou cohésion entre amis rencontrent plus de succès.

Ça, c’est pour le cadre. La valeur ajoutée de Salvéo se situe aussi côté prise en charge. Julien Castagnet lui-même, après un DEUST Métiers de la Forme, a passé une Licence APAS (Activité Physique Adaptée et Santé), afin de prendre en charge des personnes atteintes de pathologies ou de handicap, mais aussi d’être éligible à la prescription médicale de l’activité physique. La force vive de Salvéo est ses sept collaborateurs dont cinq coachs, tous formés au sport santé, mais tous avec une spécificité : nutrition, massage bien-être et drainage, réathlétisation, gestion des émotions et préparation mentale. « J’ai essayé de recruter des personnes aux compétences complémentaires pour une prise en charge holistique de la personne », souligne le dirigeant. Le tout, avec une approche douce. « Si une personne veut perdre du poids, on ne propose pas un accompagnement en nutrition immédiatement. On commence par l’activité physique, sans rien imposer, puis petit à petit, on essaie de l’emmener vers ce qui peut être amélioré dans sa santé », explique Julien Castagnet. Son secret n’est pas dans le sport, mais dans la prévention santé : il a aussi été formé à l’ETP, soit l’éducation thérapeutique du patient. « Ce qui me plaît dans l’ETP, c’est de partir des représentations de la personne pour obtenir des changements sur des décisions intrinsèques, plutôt que d’imposer ou de soumettre. C’est d’autant plus pertinent que cette méthode commence en groupe, afin de créer une émulation positive, puis le parcours est individualisé », détaille le patron de Salvéo. Il s’en inspire largement pour son centre de remise en forme, ce qui lui apporte une clientèle issue du sport sur ordonnance.

LES LIMITES DU SPORT SUR ORDONNANCE

Dire que ce label n’a que du bon serait exagéré, et Julien Castagnet ne s’en prive pas. « Ce label n’est qu’une étiquette. Il peut amener de la visibilité, il peut rassurer certaines personnes, particuliers et professionnels, mais derrière, il n’y a pas de suivi », enfonce le manager. Alors que Salvéo emploie des enseignants APA et diplômés CSAMAP, il déplore que ce label « soit récupéré par les collectivités locales » et que beaucoup de patients soient en fin de compte renvoyés vers des clubs associatifs de foot, de basket ou de judo. « Ça a perdu de sa pertinence, car avec ces structures, on n’a pas la garantie de toujours tomber sur des personnes bien formées. » Si on lit entre les lignes, on comprend que le sport sur ordonnance veut éviter de diriger trop de personnes vers le privé, et indirectement, que l’État subventionne ces acteurs institutionnels et associatifs… Et pourtant, Salvéo compte les seuls diplômés APA du secteur. « Certaines personnes ne savent pas quoi faire face à ce dispositif. Elles ne savent pas si elles doivent venir chez nous ou aller dans un club de marche. Je leur réponds que ce n’est pas la même chose. Soit elles entrent dans un protocole APA chez nous, avec une équipe pluridisciplinaire qui les aide à améliorer leur bien- être au quotidien et leur santé à long terme, soit elles vont dans une association où elles ne feront que de la marche ! » argumente Julien Castagnet.

Il a un autre exemple. Pendant trois ans, il fédérait dix intervenants sur l’accompagnement du cancer. Sa structure, « Ma parenthèse », était financée par l’ARS. Une prof de yoga, un psychologue, une nutritionniste, une esthéticienne, bref, plusieurs profils aidaient des malades atteints du cancer à se réapproprier leur corps et à aller de l’avant. Finalement, l’ARS a changé de critères dans l’attribution des subsides, explique le Girondin, et a coupé les vivres, laissant cette belle initiative et les malades le bec dans l’eau.

Fils de médecin, l’entrepreneur bénéficie à la fois d’une sensibilité forte au soin, et de sa connaissance du milieu médical local. On sait à quel point le médecin de famille a un fort impact en milieu rural. Depuis des années, dix ans pour certains clients, Julien parcourt les routes pour accompagner certains pratiquants. Pour les plus diminués, il se rend à domicile. Avant Salvéo, il faisait des semaines de 70 heures. On ne dit pas assez combien le métier de coach peut être, paradoxalement, impactant, à la fois physiquement et mentalement pour la santé de ses professionnels. Heureusement, lui s’est bien accommodé de ce rythme effréné et dit ne pas souffrir. Au contraire, il se nourrit en aidant les gens à cheminer vers une meilleure santé. Avec une telle personnalité, il ne pouvait pas envisager autre chose que se lancer à son compte et entreprendre. Au début, il veut se lancer avec un ami kiné, mais lui ne se sent pas de se jeter à l’eau. « Il m’a dit : lance-toi et si ça marche, je te rejoindrai. Et c’est ce qu’il a fait », sourit le patron. Salvéo fonctionne bien depuis 2􏰀18, mais entre la Covid et l’inflation, il avoue que ce n’est pas facile tous les jours.

Pour matérialiser sa vision, Julien Castagnet se met en quête d’un lieu, et il le trouve, une bâtisse « magnifique » de 900 mètres carrés qu’il faut entièrement rénover. Puis il se rend, projet sous le bras, dans les banques. Le compromis est signé, et le temps commence à presser… « Je demandais 1 million d’euros. Mais il faut savoir que Salvéo est dans une commune de 300 habitants ! Les banquiers me demandaient : mais comment allez-vous rentabiliser ça ? » se remémore le manager. « J’étais parti sur une projection de 450 adhérents au bout de trois ans. Ça tenait la route, mais c’était un peu limite. Le but n’était pas de gagner de l’argent, mais de proposer quelque chose de différent », poursuit le porteur de projet. Nous arrivons en juillet, le Crédit Agricole donne un avis positif, mais ne veut pas assumer seul le risque, il faut trouver une autre banque en cofinancement. Mais il reste à Julien un mois pour trouver les fonds et éviter que le local lui passe sous le nez. La Banque Populaire étudie quatre fois le dossier et le refuse autant de fois. Mi-août, il reste deux semaines avant la date d’échéance du sous-seing. Puis une semaine, et un appel providentiel du siège de cette même banque « OK pour un cofinancement avec le Crédit Agricole »...

COVID ET INFLATION

Aidé par Jean Claude, l’ami de sa mère, sur la partie travaux, Julien Castagnet met du cœur à l’ouvrage pour monter un centre magnifique. Pour la préouverture, il sécurise déjà 350 personnes, soit bien plus qu’escompté. Le fils du Dr Castagnet, qui a écumé les routes à la rencontre de ses clients, parfois âgés, et qui adolescent, courait les terrains de rugby du secteur pour ses matchs, « l’enfant du pays », récolte les fruits. « Il y a eu beaucoup d’articles dans les journaux, et beaucoup de bouche à oreille », se félicite l’entrepreneur. Certaines personnes viennent
à Salvéo juste pour voir les lieux, sans forcément s’entraîner. D’autres viennent profiter de la balnéo. Des jeunes louent des chambres pour faire la fête. Coca-Cola ou But viennent en séminaire et lorsque les collaborateurs découvrent les lieux, certains en viennent à tomber amoureux, et reviennent. Qui imaginait un tel centre en pleine campagne girondine ?

Mais depuis la Covid, le nombre de clients a décru d’un cran. De 700, Salvéo est plutôt sur une base clientèle de 600 personnes aujourd’hui. Et l’inflation qui s’ensuit n’aide pas à remonter la pente. D’un côté, les gens s’engagent moins sur la durée. Or, Salvéo a bâti son modèle économique sur l’engagement à douze mois (même s’il propose aussi du sans engagement). Le prix est pourtant très modique compte tenu des prestations : 44 euros par mois pour le pass détente avec l’accès au spa, 51 euros pour le pass forme avec, en plus, les plateaux techniques, les cours collectifs et le parc aménagé, et jusqu’à 65 euros pour une formule forme et détente, mêlant sport et spa. De l’autre côté, Salvéo fait face comme tout le monde à la hausse de l’électricité et des salaires. « Je pourrais être davantage rentable, mais je veux tenir mes engagements et toujours offrir un bon niveau de prestation », dit-il. Malgré tout, il commence à étudier une potentielle hausse tarifaire pour se maintenir à flot. La bonne nouvelle est que, depuis la pandémie, Salvéo se met à attirer une population de jeunes. Des mères de famille contactent même Julien pour mettre leurs ados chez lui. Pour la suite, il n’envisage pas d’autre ouverture. Il souhaite se concentrer à 100 % sur son havre de paix. Toutefois, il s’investit dans la formation de jeunes professionnels et accompagne des structures désireuses de développer le sport-santé.

Julien Castagnet tient à rendre hommage aux deux rencontres décisives dans sa vie professionnelle, Yves Riera qui lui a transmis la passion de ce métier, et Didier Maisonnave qui lui a donné le goût de l’entrepreneuriat