Les maladies chroniques (MC) non transmissibles sont la première cause de mortalité mondiale (41 106 DC/an soit 74 % du total) et française (60 % des DC annuels).
En 2020 en France c’était 66 % des dépenses remboursées par l’Assurance maladie contre 61,6 % dix ans avant. Leur incidence en constante augmentation s’explique par le vieillissement, les composantes actuelles du mode de vie (tabac, sédentarité-inactivité physique, alimentation déséquilibrée, consommation trop importante d’alcool), et l’environnement (pollution). Ces maladies dont on ne guérit pas touchent les trois composantes, physique, mentale et sociale, essentielles de la santé, représentant un très lourd fardeau pour les patients.
Réduire l’incidence et la morbi-mortalité des MC est le défi sociétal pour la survie de notre système de soin et un enjeu pour toutes les politiques publiques. Dans ce cadre la prévention doit occuper leur place majeure pour freiner leurs apparitions et limiter leurs aggravations et complications. Une stratégie non médicamenteuse isolée d’accompagnement pour les modifications du mode de vie au moins doit être privilégiée initialement et si justifiée, associée à une prise en charge médicamenteuse adaptée à l’objectif thérapeutique (d’après « Les maladies chroniques », avis du CESE 2019). Dit autrement sans mise en place d’une prévention efficace, notre système de santé ne pourra pas prendre en charge tous les futurs malades chroniques.
Dans ce cadre certes très anxiogène pour l’avenir, mais strictement factuel, le tsunami de sédentarité et d’inactivité certes physique qui submerge notre société a un rôle très important d’autant plus que population et politique publique ont choisi de continuer de regarder ailleurs plutôt que d’agir. Pourtant la situation n’est pas désespérée pour arriver au but à atteindre de diminuer le nombre de malades chroniques grâce à une prévention primaire efficace en se levant plus pour bouger plus.
La situation est grave
La sédentarité correspond au temps journalier moyen passé assis ou couché en situation d’éveil. Ses effets délétères sur la santé sont indépendants de ceux de l’inactivité physique. Le niveau de cette sédentarité ne fait que croître. Ainsi, l’augmentation du temps passé par les adultes français devant les écrans en 10 ans a augmenté de 53 % avec en moyenne 12 heures et 9 heures de sédentarité respectivement les jours travaillés et non travaillés. Chez nos jeunes (6-17 ans) le temps journalier moyen passé devant un écran par les 6-17 ans est de 4 heures/jour (recommandation ≤ 2 heures/jour) et ils restent assis/couchés à 7 ans 50 % de leur temps et entre 14 et 15 ans 75 % ! La baisse d’activité physique et l’augmentation de la sédentarité sont particulièrement marquées entre 6 et 11 ans.
L’inactivité physique est définie comme le non-respect des recommandations de l’OMS de pratique d’activité physique modérée, 150 à 300 minutes associant endurance et renforcement musculaire hebdomadaire, pour les adultes (ou 30 minutes/jour selon les recommandations européennes) et 1 heure/jour pour les jeunes de 6 à 17 ans et 3 heures/jour avant 6 ans. Les jeunes Français sont parmi les moins actifs (119/146 pays en 2020) et actuellement 4 jeunes de 6-17 ans sur 5 ne respectent pas les recommandations. Chez les adultes, 56 % (70 pour les femmes et 42 pour les hommes) sont en dessous des recommandations d’activité physique. Les plus concernés sont les sujets de moins de 45 ans et ceux avec de faibles niveaux d’études.
En 2022, l’Agence nationale de sécurité et de l’environnement lançait une alerte aux pouvoirs publics en soulignant que 49 % des jeunes de 11 à 17 ans présentaient un risque sanitaire très préoccupant associant plus ou moins 4,5 heures/jour de temps d’écran et moins de 20 minutes/jour d’activité physique et 95 % des adultes présentaient un risque sanitaire par manque d’AP et/ou par temps de sédentarité trop long 33 % d’entre eux associant les deux. Elle concluait que la lutte contre l’inactivité physique et la sédentarité étaient devenues des priorités de santé publique. Force est de constater que cette alerte n’a pas été réellement suivie d’actions publiques concrètes majeures, en dehors de la mise en place « poussive » des 30 minutes d’activité physique quotidienne obligatoire en primaire. Action qui doit d’ailleurs beaucoup aux efforts de Paris 2024.
Les données d’Amélie.fr en 2024 ont hélas confirmé l’aggravation entre 1997 et 2020 de l’épidémie de surpoids et d’obésité chez les adultes. Les chiffres montrent que 47 % des Français (hommes 37 % et femmes 24 %) sont en surpoids (hommes 37 % et femmes 24 %) ou obèses (17 % ; hommes 16,7 % et femmes 17,4 %). L’obésité est passée de 8,5 % en 1997 à 17 % en 2020. L’augmentation est plus marquée chez les plus jeunes avec une multiplication par plus de 4 chez les 18-24 ans et par près de 3 chez les 25-34 ans.
Un autre marqueur de mauvaise santé de la population générale est la baisse observée de la capacité physique dans la population générale. En effet, la capacité cardiorespiratoire et musculaire (VO2 max.) est le meilleur marqueur d’espérance de vie en bonne santé, indépendamment de l’âge, du sexe et des maladies éventuelles. Un suivi longitudinal (1967-2016) de la capacité physique de la population générale (18-59 ans) mené dans 8 pays a objectivé une amélioration de celle-ci entre 1960 et 1970 puis une diminution progressivement croissante avec un pic entre 2000 et 2010. La baisse étant plus marquée chez les jeunes adultes (< 40 ans) et les hommes que les femmes. Une corrélation négative forte entre les évolutions de la capacité physique et de l’obésité a aussi été notée. Le même suivi longitudinal mené entre 1971 et 2011 chez les collégiens a montré une baisse de 25 % de leur capacité physique. L’étude « Inverser les courbes », menée par le collectif Pour une France en Forme et soutenue par la Fondation Matmut, la Fédération française de cardiologie et le ministère des Sports, a mis en évidence une baisse marquée de la vitesse maximale aérobie des collégiens français entre 1987 (11,0 km/h) et 2022 (9,5 km/h).
La mauvaise santé en particulier des jeunes, moins de 18 ans, est objectivement confirmé par le développement dans cette population de maladies de « vieux » comme le diabète de type 2 qui il y a quinze ans ne concernait que l’homme de 45-50 ans, surpoids et obésité (sans chiffre récent précis disponible) ne font que croître associé à des chiffres de pression artérielle, de glycémie et de cholestérol plus élevés que ceux observés chez les collégiens d’il y a vingt ans. Ces observations associées au fait que la cause la plus fréquente d’arrêt cardiorespiratoire avant 30 ans est l’infarctus du myocarde (qui touchait l’homme de 45 ans il y a 10-15 ans) nous laissent penser que nos collégiens de 15 ans préparent leur infarctus du myocarde à 30 ans.
Enfin, en 2020, l’OMS prévoyait 500 106 malades chroniques en plus en 2030 avec un coût de prise en charge estimé à 27 109 $. En France, selon le ministère de la Santé, entre 2020 et 2025, 750 103 à 1 106 nouveaux malades chroniques sont attendus, qui n’auront pas 50-55 ans, mais 40 ans. Qui les soignera et qui va payer ?
Les bienfaits de l’activité physique
Inactivité physique et sédentarité élèvent les niveaux d’inflammation chronique et de stress oxydant et diminuent les capacités du système immunitaire, faisant ainsi le lit des maladies chroniques.
Les effets bénéfiques de l’activité physique sont formellement prouvés en prévention primaire (prévention de l’apparition), secondaire (aggravation) et tertiaire (complications) dans plus de 35 maladies chroniques. Limités pendant longtemps à l’effet brûleur de calories du muscle actif, d’autres effets plus modernes ont été mis en évidence pour expliquer une telle palette d’efficacité. Les perturbations de l’équilibre de l’organisme provoquées par l’exercice induisent la libération d’exerkines. Ce sont des molécules libérées par les muscles (myokines), le cœur (cardiokines), le foie (hépatokines)… qui ont des effets sur diverses voies de signalisation et ainsi modifient le fonctionnement de la plupart des organes. La libération d’exerkines pendant l’exercice dépend de son type (endurance continue ou fractionnée, musculation) de son intensité et de sa durée, ainsi que de l’âge le genre et le niveau d’entraînement du pratiquant. Au total, ces exerkines diminuent les niveaux d’inflammation chronique et de stress oxydant et augmentent les capacités du système immunitaire et la vasomotricité. Certaines ont aussi des actions spécifiques sur les différents organes.
L’activité physique est de plus le seul moyen d’augmenter, à tout âge, et quels que soient l’état de santé et la capacité physique. Aucun médicament ne l’augmentant directement. L’étude « Inverser les courbes » a montré que la réalisation de 10 séances (2/semaine x 5) de 10 minutes d’entraînement fractionné d’intensité individualisée permettait de diminuer de 40 % la baisse de capacité physique observée entre 1987 et 2022. Ainsi il est possible d’inverser les effets négatifs de la sédentarité et de l’inactivité physique.
Comment expliquer l’absence de modification du comportement de la population ?
Comme pour le tabac lorsque ses risques étaient méconnus il y a soixante ans, la population n’a pas pris (ou ne veut pas prendre) conscience des risques sanitaires pourtant formellement prouvés de la sédentarité. La preuve, lorsqu’en 2028 la question a été posée aux populations européennes, 72 % des interviewés ont répondu non la sédentarité n’est pas dangereuse pour la santé. Cette attitude se rapproche hélas de celle observée vis-à-vis du réchauffement climatique…
Une erreur de communication est peut-être de rappeler sans cesse les bienfaits de la pratique régulière d’une activité physique modérée au lieu de souligner les risques que représente le fait de ne pas bouger assez et d’être trop sédentaire. Nous sommes nés pour bouger, pas pour rester assis, il n’y a pas d’autre issue. Ainsi l’OMS recommande clairement aujourd’hui de bouger régulièrement et de diminuer son temps passé assis en particulier en respectant toutes les 60 à 90 minutes des coupures de 2-3 minutes d’activité physique. Chaque minute assise en moins et chaque pas en plus sont bons pour notre santé.
Au cours de son évolution, l’homme, dans un but de survie et de reproduction, a développé une capacité d’endurance physique exceptionnelle. La pratique régulière d’activité physique est en fait la pierre angulaire de tout notre développement, moteur, cognitif, affectif et social. Cette activité physique pour laquelle nous sommes génétiquement programmés nous protège des maladies et de la mortalité précoce. Bouger nous est devenu vital. Pourtant la majorité d’entre nous s’en révèlent incapables même quand ils en ont l’intention. Pourquoi donc ? Sûrement, car cette vision de l’Homme construit pour bouger longtemps et sans fatigue est réductrice et ne représente que la moitié de notre histoire. L’autre moitié étant que ce roi de l’endurance était aussi capable de limiter au maximum ses dépenses énergétiques dès qu’il le pouvait. Les survivants de cette évolution sont donc devenus des extraordinaires optimisateurs énergétiques capables de réaliser toute action en minimisant au mieux l’énergie dépensée. Nous ne sommes donc pas condamnés à la paresse, mais à l’efficience (à ce sujet, la lecture du livre Le Syndrome du paresseux de B. Cheval et M. Boisgontier, éd. Dunod, 2020, est conseillée). Mais cette loi du moindre effort vitale pour nos ancêtres est aujourd’hui totalement inadaptée à notre société hyper-industrialisée qui nous pousse à bouger spontanément de moins en moins tout en maintenant des apports caloriques totalement inadaptés, et en plus de mauvaise qualité, à nos dépenses énergétiques de plus en plus faibles.
La situation n’est pas désespérée, mais il faut agir.
Pour ne pas voir, si c’est encore possible, une génération de parents enterrer ses enfants, il faut réagir très rapidement. Qui il ? En premier lieu nous tous, car nous avons en nous toutes les ressources nécessaires pour lutter contre la sédentarité et l’inactivité physique. Nous pouvons réorienter consciemment nos comportements pour rester actifs tout au long de la journée et y prendre du plaisir. En second lieu, mais leur implication est aussi essentielle, les pouvoirs publics pour faciliter et aider à tous les niveaux, éducation nationale, travail, santé, sport, urbanisme, environnement, écologique cette autre transition vers un mode de vie plus actif et moins sédentaire et associé à une alimentation plus équilibrée permettra pour une large part de diminuer le nombre de malades chroniques à venir.
Rappelons que d’après la Mutualité française, le budget de la prévention représentait en 2 021 1,9 % des dépenses de santé en France ce qui la classait en queue de peloton des pays européens (4,1 % en Italie et Royaume-Uni et 3, 2 % en Allemagne).
Conclusion
L’industrialisation de nos sociétés a modifié nos modes de vie, alors que notre évolution nous avait permis de nous adapter à un mode de vie très actif. Celui-ci est dominé par l’inactivité physique et la sédentarité auquel notre organisme est totalement inadapté. Seule une prise de conscience de tous et à tous les niveaux, en changeant totalement notre choix de mode de vie, permettra d’inverser les effets mortels de l’inactivité physique et la sédentarité.