Une phrase malheureuse, un mot de trop, une maladresse dans l’expression verbale trahissent par la bouche d’une personne l’organisation ou résume la culture d’entreprise…
Ces phrases anodines sont souvent le signe d’un désintérêt pour le client, d’une formation pas assez adaptée des personnes qui sont en contact avec le client. Découvrons ensemble un échantillon -malheureusement pas exhaustif- de mots qui tuent :
- « C’est pour quoi ? » est une expression qui traduit le manque de concentration de votre interlocuteur ou au mieux son sens de l’humour. C’est une façon maladroite de commencer une relation avec un client lorsqu’on veut l’aider. Tout le monde pense à son entrée dans un club de fitness pour la première fois et à l’accueil maladroit par cette phrase. De nombreuses réponses plus ou moins humoristiques viennent alors à l’esprit du client, au guichet d’une administration, d’un hôpital, d’un lieu de service ou d’un magasin. Le client est concentré sur son besoin, sa question, son rendez-vous et le « C’est pour quoi ? » l’éloigne d’une relation personnalisée et intense.
- « C’était pourtant écrit (ou communiqué) » peut se comprendre lorsqu’effectivement c’est écrit en très grandes lettres sur un poster de deux mètres de haut ou répété sur un message d’attente, ce qui est finalement assez rare. Dans le cas d’une promotion, le client n’a pas lu l’astérisque qui précise « hors produit de telle gamme » ou « de telle à telle date ». Dans toute transaction, il y a des conditions générales de vente qui sont accessibles mais le client ne les lit pas et la transparence du vendeur s’impose pour bien faire comprendre au moins les conditions essentielles. L’interlocuteur se réfugie derrière la règle légitimement, et le client se sent trompé ou idiot. Il y a de bonnes façons de faire comprendre à un client qu’il a mal compris ou mal lu, et pour améliorer cette situation qui génère une perte de confiance du client, rien de tel que de favoriser la remontée des feedbacks des collaborateurs qui savent mieux que quiconque détecter les incompréhensions du contrat et de la communication commerciale.
- « Il y a beaucoup de monde aujourd’hui » (variante de « vous n’êtes pas le seul »). Vous avez attendu longtemps au téléphone, vous avez fait la queue pendant un certain temps ou bien vous êtes attablé et affamé, et la seule réponse à votre problème personnel est une réponse très impersonnelle qui vous fait bien sentir que vous êtes un numéro, un client parmi beaucoup d’autres. Cette situation est parfois la conséquence d’une mauvaise organisation ou d’une faiblesse dans la planification des équipes. C’est un aléa de tous les commerces que d’avoir un pic d’appels ou de fréquentation imprévu, et la gestion du « rush » est souvent un bon marqueur d’un management efficace. Le client peut tolérer à condition qu’on lui explique, qu’on trouve de bonnes façons de le faire patienter et qu’on soit tout à lui lors de l’échange.
- « Ça va être compliqué ! » est une formule de nature à ajouter au stress du client qui n’a pas trouvé la solution par lui-même, n’a pas compris quelque chose et reçoit par cette phrase la confirmation que ça risque d’être vraiment douloureux. «Ça ne va pas être facile », une variante classique, est aussi le témoignage de l’expert qui veut vous faire sentir que vous n’y connaissez rien. Généralement le client pense à ce moment « je vais me faire arnaquer sur le délai ou sur le coût ».
- « C’est la procédure » est malheureusement très souvent entendue aussi de la bouche des collaborateurs qui se réfugient derrière la règle et montrent ainsi leur incapacité à gérer votre problème. Un mur se monte alors entre le client et son interlocuteur. Dans cette situation, le client peut comprendre n’importe quelle règle du moment qu’elle lui est expliquée. Exemple : à l’entrée d’un salon business d’une compagnie aérienne à Paris, je me présente avec une personne de ma famille qui a un billet classe économique, je demande à la personne de l’accueil si elle peut entrer avec moi. La réponse est négative et s’accompagne d’un très élégant « désolé mais c’est la procédure » qui est insupportable pour un client dont le billet a une valeur de 3000 euros. En dehors de ces situations, avec une forte attente de considération de la part de l’employé, il y a mille et une façon de faire preuve d’agilité pour le client. Le baromètre Cultures Services de l’Académie du service révélait d’ailleurs que l’attitude de service « Ils sont capables de s’affranchir des règles pour me satisfaire » était la moins bien notée par les Français.
- « Il va falloir repasser (ou rappeler) ». Comme le dit l’auteur de « The best service is no service » (lire mon billet à ce sujet), on ne se lève pas le matin avec l’irrépressible envie d’appeler un service client ou bien d’aller en boutique pour résoudre un problème. Alors que vous avez planifié votre appel ou votre visite, que vous avec attendu et que vous vous êtes préparé à toutes les options, vous découvrez la mort dans l’âme qu’il vous manque un document ou que votre interlocuteur ne peut pas vous proposer d’autres options pour vous faciliter la vie et clore le sujet qui vous préoccupe. C’est la faute à l’absence d’options de service et souvent aux procédures rigides qui n’ont pas été conçues pour ce cas de figure. Le client s’attend à résoudre son problème en une seule interaction si possible. C’est d’ailleurs un très bon indicateur de performance de la relation client qui prend la forme du « once and done » (tout bon du premier coup) ou du FCR (first call resolution)
- « Il faudrait regarder sur internet ». Aveu de faiblesse, manque de temps ou de moyens, l’interlocuteur n’a pas les mêmes capacités que le client et répond par cette phrase. Le client pose une question sur une adresse, un point technique ou une quelconque information pointue et difficile à trouver, et il est renvoyé vers un autre canal et comprend naturellement « je n’ai pas que ça à faire » ou « je ne suis pas capable de répondre ou de vous aider ». Cette formule trahit l’absence de Symétrie des équipements ou des capacités, comme j’ai pu l’évoquer sur ce blog. Le client se sent abandonné et renvoyé à sa solitude face à une personne qui, trop souvent, ne maîtrise pas cette partie du parcours client ; il ne connait pas le propre site de son entreprise, n’y a pas accès lui-même ou bien ne saurait pas indiquer ou trouver la bonne information et rendre le client plus autonome.
- « Il faudrait écrire au siège / au service client / au service réclamation ». C’est sans doute l’une des phrases que j’ai pu entendre le plus grand nombre de fois dans mes expériences de client lorsque j’ai voulu formuler une réclamation. Cette expression apparaît dans plusieurs situations : mon interlocuteur me demande de faire preuve de compassion pour lui et me demande de l’aide pour résoudre un problème qui l’affecte, et je comprends alors sa réponse. Il peut également être sans moyen de résoudre mon problème ou collecter ma plainte, ou bien encore -et c’est la pire situation- il me fait comprendre que ce n’est pas son problème et que « je n’ai qu’à écrire si je ne suis pas content ».
- « Vous n’êtes pas le premier à me dire ça » est un terrible refrain entendu en réponse à une remarque d’un client sur un problème récurrent. « Il fait chaud dans votre magasin », « les étiquettes sont illisibles », « Ça fait un quart d’heure que j’attends au téléphone », « Vous n’avez plus ce plat sur votre carte ? », sont autant de petites contributions du client à l’amélioration d’un service ou d’un produit. Malheureusement, la voix du client se perd quelque part dans l’organisation, tombée entre deux silos, ou bien la personne qui va recueillir l’avis spontané du client n’a pas les moyens de répondre. C’est d’autant plus frustrant que les clients qui s’expriment sont de bonne volonté pour la plupart et seraient heureux de contribuer à leur façon à l’amélioration de leur expérience.
Je suis évidemment plein d’empathie pour toutes les personnes en charge de l’accueil ou de la relation client qui se trouvent dans des situations qui leur font prononcer ces « mots qui tuent », car souvent elles ignorent que leur expression va créer une insatisfaction. La responsabilité de prévoir des situations, mettre à jour des procédures et donner les moyens aux collaborateurs de gérer des situations difficiles incombent aux entreprises et à ses managers. Je fais le pari que la plupart des clients tolèrent des « mots qui tuent » de la bouche des collaborateurs mais que leur satisfaction et leur fidélité vis-à-vis de l’entreprise sont affectées. Sans parler du bouche-à-oreille qui est souvent alimenté de bonnes histoires de la part du client auprès de ses proches, ses collègues ou sa famille. Le mot qui tue de la part du client est alors : « Et tu sais ce qu’il m’a répondu ? ».
Thierry Spencer
Directeur associé de l’Académie du service
Auteur du blog Sensduclient.com