Votre N-1 est démotivé ? Voici comment le gérer…

Avoir, de temps à autre, un coup de mou professionnel n’a rien d’anormal. Mais si la situation perdure, le danger guette… Et c’est au manageur de repérer les signes et d’intervenir.

Pfff, vraiment pas motivé aujourd’hui… » Avouons-le : un jour ou l’autre, nous avons tous confessé, devant la machine à café, notre manque d’enthousiasme et d’énergie. « C’est normal et humain ! s’exclame le conférencier et chroniqueur Gaël Chatelain-Berry, auteur de plusieurs ouvrages dédiés au bien-être au travail (dont Happy Work. Pour une vie pro sereine et épanouie, First éditions). Il y a certains matins, on n’a juste pas envie de travailler. Les personnes au taquet du lundi au vendredi, je n’en connais pas. Là où c’est problématique, c’est quand la démotivation devient systématique. »

« Être démotivé, ce n’est pas forcément négatif : cela permet de se questionner, c’est souvent le signe qu’il y a besoin d’un changement, complète la psychologue et coach Aurélie Durand, fondatrice du cabinet Ajadi. Mais si ce sentiment – qui relève de la tristesse – prend de l’ampleur, il peut à ce moment-là conduire à un déséquilibre et un surstress qui, derrière, peuvent engendrer une anxiété, voire un état dépressif. Et, dans une logique de prévention, le manageur doit prendre en compte cette situation, avec le collaborateur – d’autant qu’il existe un risque de contagion sur le reste de l’équipe. »

Sauf que la tâche est loin d’être évidente : la motivation est une notion complexe et, face à une baisse de régime d’un collaborateur et ses potentiels effets négatifs (diminution de la productivité, négligences, retards, absentéisme, etc.), beaucoup de cadres se sentent démunis. « Je le vois quand j’accompagne des entreprises : les questions d’identification et de gestion du stress et de la démotivation font partie des points managériaux difficiles, juste après celles relatives aux conflits au sein des équipes », confirme le coach, conférencier et formateur Clément Bergon, auteur de l’ouvrage Bon manager mode d’emploi ! (Diateino éditions). Alors, quelles sont les clés pour essayer de « redonner de l’élan » à un collaborateur quand son moral et son investissement sont en berne ? Trois experts partagent leurs conseils.

Dédramatiser les passages à vide

« La première chose à faire, c’est de rendre ce sujet non tabou, recommande Gaël Chatelain-Berry. Lors de mes conférences, je me rends compte que certains manageurs ont du mal à admettre qu’eux-mêmes puissent être démotivés, comme si cela revenait à dire qu’ils ne méritaient pas leur salaire. Or, à partir du moment où on a conscience qu’on peut avoir des coups de mou, cela devient plus facile de gérer la démotivation des autres. Je pense qu’il est essentiel de dire ouvertement à son équipe : “Écoutez, on a toutes et tous des hauts et des bas, c’est normal. Si vous avez un bas, venez m’en parler pour qu’on fasse en sorte que cette situation ne perdure pas.” »

Afin de faciliter ce dialogue et prévenir autant que possible les risques de démotivation, il peut s’avérer particulièrement utile de mettre en place « des process internes qui favorisent la communication », estime Clément Bergon. « Concrètement, cela peut prendre la forme toute simple de rendez-vous hebdomadaires individuels de 15 à 30 minutes, détaille le formateur. L’idée de faire un point sur l’état d’esprit et le ressenti du salarié, son travail en cours, ses projets, etc. Car si on compte sur le fait que le collaborateur vienne de lui-même exprimer son mal-être, il risque d’attendre la dernière minute et ce sera trop tard. »

D’ailleurs, le manque d’entrain mérite d’être regardé comme une « ressource » pour le manageur, fait remarquer Aurélie Durand. « Celui-ci ne peut bien sûr pas tout voir, explique la coach. La démotivation peut mettre en lumière des angles morts (un problème de communication entre équipes, par exemple) et ainsi permettre de changer la façon de travailler. »

Être attentif aux changements de comportement et prendre du recul

Absence d’initiatives, étourderies, isolement, agressivité verbale… De nombreux indicateurs peuvent mettre la puce à l’oreille des chefs d’équipe. « Les manageurs ont la responsabilité de repérer ces signaux faibles qui montrent qu’un collaborateur est en difficulté et de lui proposer d’échanger sur ce qui se passe, rappelle Aurélie Durand. Pour être légitime et éviter de tomber dans des jeux d’interprétation, il faut rester sur des faits tangibles. L’idée est d’aborder la discussion avec une intention constructive, sans faire de reproches ni voir cette démotivation comme un rapport de force. On peut dire par exemple : “J’ai observé ça, je suis inquiet parce que ça a tel impact sur l’équipe ou sur ton travail ; je voudrais qu’on en parle pour voir si j’ai des leviers pour répondre à ton besoin”. »

« Le terme est un peu galvaudé, mais je pense que, dans ces cas-là, il faut une vraie capacité d’empathie, ajoute Clément Bergon. Il faut essayer de comprendre ce que vit son interlocuteur sans le juger et se demander ce qu’on peut faire pour l’aider – que ce soit directement ou en l’orientant vers quelqu’un d’autre. Adopter une posture de “recadrage” sans avoir fait preuve d’écoute au préalable n’aboutira à rien. »

Attention d’ailleurs, signale le coach, à être encore plus vigilant avec les nouvelles générations. « Les plus jeunes sont en recherche d’un épanouissement personnel à travers leur travail et s’ils ne trouvent pas ce qu’ils cherchent – notamment en matière de qualité du management – ils vont très vite aller voir ailleurs, décrit-il. Il n’est pas rare qu’ils annoncent qu’ils s’en vont et que le manageur tombe des nues. Les signaux sont moins évidents et il faut savoir être réactif dès que quelque chose dysfonctionne. »

Identifier l’origine du problème et les aspirations du collaborateur

« Les facteurs de motivation et de démotivation sont multiples, il y en a autant que d’individus – sachant que, en plus, ils peuvent évoluer en fonction de nos contextes de vie (est-on en début ou en fin de carrière, a-t-on des enfants, souhaite-t-on prendre des responsabilités ou non, avons-nous besoin d’avoir de l’impact, etc.) », indique Aurélie Durand. Néanmoins, deux grands axes se dégagent : les problématiques liées à la situation personnelle – qui peuvent empêcher de mobiliser son énergie dans son travail – et celles liées à l’environnement professionnel. Dans le premier cas de figure, le manageur a, par définition, assez peu de marge de manœuvre, si ce n’est celui de « créer un périmètre privilégié où la personne peut aborder, si elle le souhaite, le sujet, dit Clément Bergon. Une fois informé, le responsable a la possibilité de mettre en lien son collaborateur avec le service des ressources humaines ou un psychologue du travail afin d’identifier une prise en charge. »

Professionnellement parlant, les motifs du passage à vide peuvent être légion : surcharge de travail, manque de reconnaissance, perte de sens, problèmes relationnels dans l’équipe (et/ou avec son supérieur hiérarchique), rémunération jugée inadéquate, etc. « La démotivation intervient quand il y a un désalignement entre l’évolution personnelle de l’individu et les conditions que propose l’entreprise, résume Aurélie Durand. Imaginons deux collègues en compétition pour une promotion ou une mission : la déception de celui qui n’obtient pas ce qu’il souhaitait peut générer de la démotivation. Bien sûr, le manageur ne doit pas revenir sur son choix, mais il doit se rendre compte que la situation est délicate et mettre du sens sur cette décision. »

« Ce qui est important, c’est de libérer la parole sur le sujet pour qu’il n’y ait pas de frustration et de non-dits, insiste Gaël Chatelain-Berry. Chaque manageur doit savoir pourquoi telle et telle personne de son équipe vient le matin (pour certains, c’est le salaire ou la reconnaissance ; pour d’autres, la relation avec leur supérieur ou leurs collègues, etc.) Prenons le cas d’un collaborateur très motivé par son salaire. S’il se dit “je ne suis pas assez payé”et que son manageur lui répond “on peut en parler”, cela ne veut pas dire qu’il va lui accorder une augmentation. Au cours de ma carrière, j’ai déjà expliqué à des collaborateurs et collaboratrices pourquoi je ne les augmentais pas (parce qu’ils n’ont pas rempli leurs objectifs, parce qu’ils sont payés à leur juste valeur compte tenu du marché, etc.). Je ne dis pas que, à la suite de cette discussion, leur niveau de motivation a augmenté, mais, en tout cas, il n’a pas baissé. Ils ont été entendus et ils ont compris que la décision n’était pas arbitraire. »

Proposer un plan d’action individuel et/ou s’appuyer sur des leviers collectifs

Une fois le diagnostic posé, l’opération « remobilisation » passe par la mise en place d’un cadre d’accompagnement précis. « Il s’agit de décider ensemble des actions à mettre en œuvre pour aider la personne à aller vers un mieux-être, souligne Clément Bergon. Par exemple, si le problème est un défaut de communication avec le manageur, l’idée est de voir quel nouveau mode de fonctionnement adopter. Si on identifie un problème avec un collègue, on entre dans une stratégie de gestion de conflits. Il est important aussi de définir des indicateurs destinés à suivre l’évolution de la situation. En tout état de cause, il ne faut pas tomber dans le piège de vouloir imposer notre propre solution. » « Dans une posture de manageur coach, le responsable peut aider le collaborateur à définir les étapes qui permettraient de le remettre en mouvement, relève Aurélie Durand. Cela passe par une logique de questionnement : “Comment peux-tu aborder ta problématique avec untel ?”, “Que pourrais-tu faire pour améliorer la situation ?”, “Dans quelles mesures puis-je t’aider ?” »

Face à un salarié en perte de sens, il peut également être pertinent de mettre en avant l’utilité de ses missions. « Je me souviens d’être intervenu dans une usine de vis et de boulons où il y avait beaucoup de turn-over, raconte Gaël Chatelain-Berry. A priori, je me disais qu’en effet cela ne devait pas être simple de garder les ouvriers motivés. Mais ce que le patron oubliait de rappeler régulièrement à ses équipes, c’était que les produits fabriqués ici finissaient chez Airbus, Boeing et Thalès et équipaient même des satellites ! C’est quand même très valorisant. » Le manageur peut d’ailleurs prendre appui sur des outils, tels que les séminaires, pour regonfler le moral d’un employé et lui donner un nouveau souffle. « La dynamique d’équipe est un des leviers pour aider le collaborateur à reprendre le dessus », confirme Aurélie Durand.

Et si malgré toutes les pistes proposées, la flamme ne se rallume pas, il sera sans doute temps de réfléchir à changer de poste, voire d’entreprise. « Mieux vaut se séparer que retenir ou chercher à rester à tout prix, conclut la psychologue. Car ce qui compte, c’est que la personne malheureuse retrouve son énergie. »